Sunday, October 01, 2006

Jivya Soma Mashe, tribu Warli, Inde


Jivya Soma Mashe, Fish men, acrylic and cowdung on canvas, 115x146 cm, 1997


Jivya Soma Mashe, Cauk, acrylic and cowdung on canvas, 115x146 cm, 1997


Jivya Soma Mashe, Cauk, acrylic and cowdung on canvas, 138x230 cm, 1999


Jivya Soma Mashe, acrylic and cowdung on canvas, detail


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic and cowdung on canvas, 138x290 cm, 1999


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic and cowdung on canvas, 138x230 cm, 1999


Jivya Soma Mashe, Tarpana, acrylic and cowdung on canvas, 100x126 cm, 1998

jivya soma mashe india tribal art
Jivya Soma Mashe, "The Ant" cowdung and acrylic on canvas, 136 x 176 cm (53,5 x 69,3 in),


Jivya Soma Mashe, acrylic and cowdung on canvas, detail

Jivya Soma Mashe et Herve Perdriolle
Jivya Soma Mashe et Hervé Perdriolle, Museum Kunst Palast, Düsseldorf 2003


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic and cowdung on canvas, 138x290 cm, 1999


Jivya Soma Mashe, acrylic and cowdung on canvas, detail


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic and cowdung on canvas, 100x125 cm, 1998


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic on canvas, 115x146 cm, 1997


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic on canvas, 115x146 cm, 1997


Jivya Soma Mashe, un artiste tribal contemporain

Les indiens appellent les individus issus de communautés tribales les "adivasi", ce qui signifie "premiers habitants". Pourtant, de l'art tribal indien nous ne connaissons presque rien. Durant plus de plus de deux mille ans, le foisonnement des arts sacrés, bouddhistes, jaïn, hindous ou encore musulmans, ont presque totalement occulté l'art tribal de ce sous-continent.
L'un des rares témoignages qui nous soient parvenu est celui de l'art des Naga. L'art de cette tribu, jadis coupeurs de têtes et christianisée dans les années 50, avec ses sculptures, ses parures ou son architecture a rivalisé avec les plus belles pièces de l'art tribal d'Afrique et d'Océanie. Les quelques autres témoignages nous viennent du travail exceptionnel d'ethnologues dont celui, dans les années 30, d'Elwin Verrier à propos de la tribu des Gond dans l'État du Madya Pradesh, au cœur de l'inde. Malheureusement peu de pièces anciennes ont été conservées et il est rare d'avoir l'occasion de les admirer.
Fort heureusement, grâce au gouvernement indien et à l'aide ponctuelle d'amateurs éclairés, l'art tribal de l'Inde ne s'est pas complètement éteint. Dans les années 70, le gouvernement indien, conscient de la disparition progressive de ce patrimoine artistique est venu en aide à l'ensemble de ses diverses communautés ethniques. Afin de pouvoir conserver une trace durable de ses arts rituels pour la plupart traditionnellement éphémères les émissaires du gouvernement ont introduits auprès de ces artistes d'autres supports tels que le papier et la toile. Faciles à transporter et à exposer, ces nouveaux supports ont permis également de faire connaître ces formes d'art ancestral hors de leurs frontières géographiques. Exposées et vendues dans les magasins d'État, ces peintures et dessins avaient aussi pour finalité d'apporter un complément de revenus à ces communautés le plus souvent très démunies. Parmi cette production artistique essentiellement destinée à une clientèle de touristes, quelques unes d'entre elles particulièrement intéressantes retinrent l'attention de spécialistes ou d'amateurs éclairés. Ainsi fût découvert, dés le début des années 70, la plupart de celles ou de ceux qui allaient devenir les représentants majeurs de l'art tribal indien.


Jivya Soma Mashe, acrylic and cowdung on canvas, detail

Jivya Soma Mashe fût l'un des premiers d'entre eux à avoir une reconnaissance nationale puis internationale. Jivya Soma Mashe fait partie de la tribu Warli. Située dans le Thane District, à approximativement 150 km au nord de Bombay, la tribu Warli compte encore aujourd'hui plus de 300 000 membres. Les Warli n'ont rien à voir avec l'hindouisme. Ils ont leur propre mode de croyance, de vie et de coutume. Les Warli parlent un dialecte qui ne s'écrit pas. Il est un mélange de mots issus du sanskrit, du Maharati et de Gujarati. Le mot Warli viendrait du mot "warla" qui désigne une parcelle de terrain, un champs. Yashodara Dalmia, dans son livre intitulé "The painted Word of the Warlis", note que les Warli seraient le prolongement d'une tradition dont les origines se situent entre 2 500 et 3 000 avant JC. Leurs peintures murales s'apparentent à celles faites 500 à 10 000 avant JC. dans les grottes de Bhimbekta, dans le Madya Pradesh. L'iconographie extrêmement rudimentaire de leurs peintures murales est construite autour d'un vocabulaire graphique dès plus basique : le rond, le triangle et le carré. Le rond et le triangle sont nés de l'observation de la nature; le rond de l'observation de la lune et du soleil et le triangle de celles des montagnes, et plus particulièrement de la montagne sacrée au sommet acéré, aigu, ou des arbres aux cimes pointées vers le ciel. Seul le carré ne semble pas né de l'observation de la nature et apparaît alors comme une création de l'homme afin de délimiter l'enclos sacré, la parcelle de terrain. Aussi, le motif central de chaque peinture rituelle est celui du carré, le "cauk"(ou caukat), au centre duquel l'on trouve "Palaghata", la déesse mère, symbole de fécondité et de fertilité. Il est important de noter que les divinités masculines sont rares chez les Warli et qu'elles s'apparentent, le plus souvent, à des esprits ayant pris forme humaine. Autour du motif central de ces peintures rituelles, viennent principalement des scènes de chasses, de pêches et de cultures, de fêtes et de danses, des figures représentant arbres et animaux. Les corps des êtres humains, comme ceux de nombreux animaux, sont représenter à l'aide de deux triangles inversés qui se rejoignent en leurs pointes respectives, le triangle supérieur figure le torse, le triangle inférieur évoque le bassin. L'équilibre précaire de ces triangles symbolise l'équilibre de l'univers, du couple. Cet équilibre a aussi l'aspect pratique et ludique de pouvoir aisément animer les corps. Équilibre sans lequel, rythme et vie seraient absent de leur art.


Jivya Soma Mashe, Tarpana, rice pasta and acrylic on paper, 13x18 cm, 1997

Cette pictographie réduite à l'essentiel est réalisée à l'aide de moyens picturaux eux aussi rudimentaire. Ces peintures rituelles sont réalisées de manière générale à l'intérieur de leurs huttes. Celles-ci mesurent environ 8x6m et ne possèdent ordinairement pas de cloisons intérieures. Une séparation symbolique répartie l'espace entre les hommes et le bétail. Les murs sont faits d'un mélange de branchages, de terre et de bouse de vache. La couleur de ces murs est celle de la terre cuite. C'est cet ocre rouge qui va servir de fond à la peinture murale. Pour peindre, les Warli n'utilisent qu'une seule couleur, le blanc. La couleur blanche est obtenue à partir d'un mélange de pâte de riz, d'eau et de gomme qui sert de liant. Cette peinture sera appliquée à l'aide d'un bâtonnet de bambou préalablement mâchonné en son extrémité afin de lui donner une souplesse comparable à celle d'un pinceau. Ces peintures murales ne sont réalisées qu'en de rares occasions, celles des mariages et des récoltes. Cette absence de pratique artistique régulière explique le style extrêmement brut des peintures rituelles Warli. Jusqu'à la fin des années 60, l'art pictural de cette tribu était le fait exclusif des femmes.


Jivya Soma Mashe, Tarpana, rice pasta and acrylic on paper, 13x18 cm, 1997

Cet art rituel ancestral allait, au cours des années 70, subir un changement radical. Un homme, Jivya Soma Mashe, se mit à peindre, non pas à la seule occasion des rituelles, mais quotidiennement. Son talent fut très vite remarqué au niveau national, recevant directement de la main des plus haut responsables politiques de l’Inde –tels Nehru ou encore Indira Gandhi- les plus importantes récompenses artistiques indiennes, puis au niveau international, participant à des expositions remarquées dont les Magiciens de la terre, en 1989.Cette reconnaissance sans antécédent, entraîna dans son sillage nombre de jeunes gens, parfois même formés par Jivya Soma Mashe, dans le cadre de work shop improvisé ou parfois organisé par des représentants du gouvernement. Ces garçons, par une pratique quotidienne de peintures destinées à être vendues, acquirent rapidement un savoir-faire qui fit l'admiration des femmes. Aujourd'hui, rares sont les femmes qui peignent encore, laissant aux hommes cette tâche, y compris à l'occasion des peintures rituelles. Nombre de ces jeunes peintres furent et sont encore invités à exposer à l’étranger, sur des initiatives institutionelles ou privées. Parmi eux, Shantaram Tumbada, a eu l’occasion de voir réaliser une de ses œuvres sur le mur d’un immeuble en France, près de Lyon à Villeurbanne, son style atteind une maturité graphique rare et confère à ses dessins les plus simples l’efficacité visuelle des meilleurs pictogrammes.


Jivya Soma Mashe, acrylic and cowdung on canvas, detail

L'histoire de Jivya Soma Mashe est singulière. Abandonné par sa famille dés son plus jeune âge, il s'enferme dans un mutisme total. Sa seule façon de s'exprimer alors, est de tracer des dessins à même le sol. Cette attitude étrange lui vaut rapidement un statut particulier au sein de sa communauté. Les premiers émissaires du gouvernement, en charge de conserver et de promouvoir l'art des Warli, sont vite étonnés par les qualités artistiques de cet homme. De cette période de repli sur lui-même, Jivya Soma Mashe semble avoir conservé un imaginaire et surtout une sensibilité hors du commun. Le travail sur des supports comme le papier et la toile lui ont permis de s'affranchir des contraintes de la surface irrégulière et escarpée du mur. Jivya Soma Mashe a métamorphosé l'aspect abrupt des peintures éphémères en un style libre et franc d’où émane une sensibilité propre.La marche est omniprésente tant dans les paysages warli, avec ses innombrables pistes marquant le sol comme les vestiges d’une sédentarisation inachevée, que dans les peintures de Jivya Soma Mashe. Dans ses peintures, la marche s’inscrit également sous la forme de pistes, représentées le plus souvent par une simple ligne. Une ou plusieurs lignes, qui parcourent et structurent la toile, nous invitent à suivre ses personnages toujours en mouvement, ses « marcheurs » dont la forme rudimentaire et hardie évoquent les silhouettes, elles aussi élémentaires et décidées, d’autres « marcheurs » célèbres représentés, ou figurés, par Alberto Giacometti, Charlie Chaplin ou encore Jacques Tati.


Charlie Chaplin, Alberto Giacometti et Jivya Soma Mashe


Jivya Soma Mashe, Tarpana, rice pasta and acrylic on paper, 13x18 cm, 1997


Richard Long, oeuvre en cours de réalisation prés de la maison de Jivya Soma Mashe, Inde 2003

En regardant attentivement les peintures de Jivya Soma Mashe, ce qui frappe le plus c’est le « mouvement », la qualité du détail, la légèreté et, dans un même temps, la précision du trait. L’hésitation n’existe pas dans l’oeuvre de Jivya Soma Mashe. L’artiste va à l’essentiel tant dans le dessin que dans la composition. Directement, sans ambage, avec la simplicité de l’évidence, de l’ingénue, du naturel. Chaque détails de ses peintures en sont le témoignage. Le trait, la ligne et les points foisonnent, fourmillent, sur la toile vibrent et s'agencent au grès de compositions habiles qui, elles même, renforcent la vibration de l'ensemble. Le détail et la composition générale de l'oeuvre sont, l'un et l'autre, au service du mouvement. Les thèmes récurrents de son oeuvre, l'activité quotidienne des siens et les légendes Warli sont elles aussi le prétexte à un éloge constant du mouvement.
"Il y a les êtres humains, les oiseaux, les animaux, les insectes, etc. Jour et nuit il y a du mouvement. La vie est mouvement." Par ses propos, Jivya Soma Mashe, décrit le sentiment profond qui anime l'âme Warli. Adivasi, premiers habitants, les Warli nous parlent des temps les plus anciens et évoquent une culture ancestrale dont l'étude approfondie permettrait peut-être de révéler quelques-uns des fondements culturels et religieux de l'Inde moderne.

Hervé Perdriolle.





Premiers pas rituels (hindou), sur un chemin de galettes de pain, de la nièce de Viswas Kulkarni (à gauche sur la photo de groupe). Viswas a appris le dialecte de la tribu Warli avec son oncle, Baskar Kulkarni, premier émissaire du gouvernement Indien à s’être intéressé à l’art de cette tribu. C’est avec Viswas Kulkarni que j’ai fait, en 1996, mes premiers pas sur les terres Warli.



Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic and cowdung on canvas, 100x125 cm, 1997


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic and cowdung on canvas, 115x146 cm, 1998


Jivya Soma Mashe, The Dead Horse, acrylic on canvas, 115x146 cm, 1997


Jivya Soma Mashe, Untitled, acrylic and cowdung on canvas, 138x200 cm, 1998